Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/131

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trop de finesse professionnelle, compliquant, allant au delà de la vérité simple. Cet homme borné, incapable de lutter de ruse, d’une force invincible quand il disait non, toujours non, le jetait peu à peu hors de lui ; car il ne l’admettait que coupable, chaque dénégation nouvelle l’outrait davantage, comme un entêtement dans la sauvagerie et le mensonge. Il le forcerait bien à se couper.

— Alors, vous niez ?

— Bien sûr, puisque ce n’est pas moi… Si c’était moi, ah ! j’en serais trop fier, je le dirais.

D’un brusque mouvement, M. Denizet se leva, alla lui-même ouvrir la porte de la petite pièce voisine. Et, lorsqu’il eut rappelé Jacques :

— Reconnaissez-vous cet homme ?

— Je le connais, répondit le mécanicien surpris. Je l’ai vu autrefois, chez les Misard.

— Non, non… Le reconnaissez-vous pour l’homme du wagon, l’assassin ?

Du coup, Jacques redevint circonspect. D’ailleurs, il ne le reconnaissait pas. L’autre lui avait semblé plus court, plus noir. Il allait le déclarer, lorsqu’il trouva que c’était trop s’avancer encore. Et il resta évasif.

— Je ne sais pas, je ne peux pas dire… Je vous assure, monsieur, que je ne peux pas dire.

M. Denizet, sans attendre, appela les Roubaud à leur tour. Et il leur posa la question :

— Reconnaissez-vous cet homme ?

Cabuche souriait toujours. Il ne s’étonna pas, il adressa un petit signe de tête à Séverine, qu’il avait connue jeune fille, quand elle habitait la Croix-de-Maufras. Mais elle et son mari venaient d’avoir un saisissement, en le voyant là. Ils comprenaient : c’était l’homme arrêté dont leur avait parlé Jacques, le prévenu qui avait motivé leur nouvel interrogatoire. Et Roubaud était stupéfié, effrayé de la ressemblance de ce garçon avec l’assassin imagi-