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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/140

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elle en suivait une, petite, débranchant un train de banlieue ; et, ses regards s’étant levés vers la gauche, elle reconnut, au-dessus de la cour des messageries, tout en haut de la maison de l’impasse d’Amsterdam, la fenêtre de la mère Victoire, cette fenêtre où elle se revoyait accoudée avec son mari, avant l’abominable scène qui avait causé leur malheur. Cela évoqua le danger de sa situation, dans un élancement de souffrance si aigu, qu’elle se sentit prête soudain à tout affronter, pour en finir. Des sons de trompe, des grondements prolongés l’assourdissaient, tandis que d’épaisses fumées barraient l’horizon, envolées sur le grand ciel clair de Paris. Et elle reprit le chemin de la rue du Rocher, allant là comme on se suicide, précipitant sa marche, dans la crainte brusque de n’y plus trouver personne.

Lorsque Séverine eut tiré le bouton du timbre, une nouvelle terreur la glaça. Mais, déjà, un valet la faisait asseoir dans une antichambre, après avoir pris son nom. Et, par les portes doucement entre-bâillées, elle entendit très distinctement la conversation vive de deux voix. Le silence était retombé, profond, absolu. Elle ne distinguait plus que le battement sourd de ses tempes, elle se disait que le juge était encore en conférence, qu’on allait la faire attendre longtemps sans doute ; et cette attente lui devenait intolérable. Puis, tout d’un coup, elle eut une surprise : le valet l’appelait et l’introduisait. Certainement, le juge n’était pas sorti. Elle le devinait là, caché derrière une porte.

C’était un grand cabinet de travail, avec des meubles noirs, garni d’un tapis épais, de portières lourdes, si sévère et si clos, que pas un bruit du dehors n’y pénétrait. Pourtant, il y avait des fleurs, des roses pâles, dans une corbeille de bronze. Et cela indiquait comme une grâce cachée, un goût de la vie aimable, derrière cette sévérité. Le maître de la maison était debout, très