Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/141

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correctement serré dans sa redingote, sévère lui aussi, avec sa figure mince, que ses favoris grisonnants élargissaient un peu, mais d’une élégance d’ancien beau, resté svelte, d’une distinction que l’on sentait souriante, sous la raideur voulue de la tenue officielle. Dans le demi-jour de la pièce, il avait l’air très grand.

Séverine, en entrant, fut oppressée par l’air tiède, étouffé sous les tentures ; et elle ne vit que M. Camy-Lamotte, qui la regardait s’approcher. Il ne fit pas un geste pour l’inviter à s’asseoir, il mit une affectation à ne pas ouvrir la bouche le premier, attendant qu’elle expliquât le motif de sa visite. Cela prolongea le silence ; et, par l’effet d’une réaction violente, elle se trouva subitement maîtresse d’elle-même dans le péril, très calme, très prudente.

— Monsieur, dit-elle, vous m’excuserez, si j’ai la hardiesse de venir me rappeler à votre bienveillance. Vous savez la perte irréparable que j’ai faite, et dans l’abandon où je me trouve maintenant, j’ai osé songer à vous pour nous défendre, pour nous continuer un peu de la protection de votre ami, de mon protecteur si regretté.

M. Camy-Lamotte ne put alors que la faire asseoir, d’un geste, car cela était dit sur un ton parfait, sans exagération d’humilité ni de chagrin, avec un art inné de l’hypocrisie féminine. Mais il ne parlait toujours pas, il s’était assis lui-même, attendant encore. Elle continua, voyant qu’elle devait préciser.

— Je me permets de rafraîchir vos souvenirs, en vous rappelant que j’ai eu l’honneur de vous voir à Doinville. Ah ! c’était un heureux temps pour moi !… Aujourd’hui, les jours mauvais sont arrivés, et je n’ai que vous, monsieur, je vous implore au nom de celui que nous avons perdu. Vous qui l’avez aimé, achevez sa bonne œuvre, remplacez-le auprès de moi.

Il l’écoutait, il la regardait, et tous ses soupçons étaient