Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/142

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ébranlés, tellement elle lui semblait naturelle, charmante dans ses regrets et dans ses supplications. Le billet découvert par lui, au milieu des papiers de Grandmorin, ces deux lignes non signées, lui avait paru ne pouvoir être que d’elle, dont il savait les complaisances pour le président ; et, tout à l’heure, l’annonce seule de sa visite avait achevé de le convaincre. Il ne venait d’interrompre son entretien avec le juge, que pour confirmer sa certitude. Mais comment la croire coupable, à la voir de la sorte, si paisible et si douce ?

Il voulut en avoir l’intelligence nette. Et, tout en gardant son air de sévérité :

— Expliquez-vous, madame… Je me souviens parfaitement, je ne demande pas mieux que de vous être utile, si rien ne s’y oppose.

Alors, très nettement, Séverine conta comme quoi son mari était menacé d’une destitution. On le jalousait beaucoup, à cause de son mérite et de la haute protection qui, jusque-là, l’avait couvert. Maintenant qu’on le croyait sans défense, on espérait triompher, on redoublait d’efforts. Et elle ne nommait personne, du reste ; elle parlait en termes mesurés, malgré l’imminence du péril. Pour qu’elle se fût ainsi décidée à faire le voyage de Paris, il fallait qu’elle fût bien convaincue de la nécessité d’agir au plus vite. Peut-être le lendemain ne serait-il plus temps : c’était immédiatement qu’elle réclamait aide et secours. Tout cela avec une telle abondance de faits logiques et de bonnes raisons, qu’il semblait en vérité impossible qu’elle se fût dérangée dans un autre but.

M. Camy-Lamotte étudiait jusqu’aux petits battements imperceptibles de ses lèvres ; et il porta le premier coup :

— Mais enfin pourquoi la Compagnie congédierait-elle votre mari ? Elle n’a rien de grave à lui reprocher.

Elle aussi ne le quittait pas du regard, épiant les moindres plis de son visage, se demandant s’il avait trouvé la