Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/147

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Le secrétaire général ne répondit pas tout de suite. Absorbé, ses regards sur le juge, dont la face lourde, aux minces lèvres, le frappait, il pensait maintenant à cette magistrature, qu’il avait en la main comme chef occulte du personnel, et il s’étonnait qu’elle fût encore si digne dans sa pauvreté, si intelligente dans son engourdissement professionnel. Mais celui-ci, vraiment, si fin qu’il se crût, avec ses yeux voilés d’épaisses paupières, avait la passion tenace, quand il croyait tenir la vérité.

— Alors, reprit M. Camy-Lamotte, vous persistez à voir le coupable dans ce Cabuche ?

M. Denizet eut un sursaut d’étonnement.

— Oh ! certes !… Tout l’accable. Je vous ai énuméré les preuves, elles sont, j’oserai dire, classiques, car pas une ne manque… J’ai bien cherché s’il y avait un complice, une femme dans le coupé, ainsi que vous me le faisiez entendre. Cela semblait s’accorder avec la déposition d’un mécanicien, un homme qui a entrevu la scène du meurtre ; mais, habilement interrogé par moi, cet homme n’a pas persisté dans sa déclaration première, et il a même reconnu la couverture de voyage, comme étant la masse noire dont il avait parlé… Oh ! oui, certes, Cabuche est le coupable, d’autant plus que, si nous ne l’avons pas, nous n’avons personne.

Jusque-là, le secrétaire général avait attendu, pour lui donner connaissance de la preuve écrite qu’il possédait ; et, maintenant que sa conviction était faite, il se hâtait moins encore d’établir la vérité. À quoi bon ruiner la piste fausse de l’instruction, si la vraie piste devait conduire à des embarras plus grands ? Tout cela était à examiner d’abord.

— Mon Dieu ! reprit-il avec son sourire d’homme fatigué, je veux bien admettre que vous soyez dans le vrai… Je vous ai seulement fait venir pour étudier avec vous certains points graves. Cette affaire est exceptionnelle, et