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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/154

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— Entrons-nous ? demanda Séverine. Tout ce monde m’étourdit.

De lui-même, Jacques allait entrer, inconscient du besoin de l’avoir plus à lui, loin de la foule.

— Là ou ailleurs, dit-il. Entrons.

Lentement, ils continuèrent de marcher le long des pelouses, entre les arbres sans feuilles. Quelques femmes promenaient des enfants au maillot, et il y avait des passants qui traversaient le jardin pour couper au plus court, hâtant le pas. Ils enjambèrent la rivière, montèrent parmi les rochers ; puis, ils revenaient, désœuvrés, lorsqu’ils passèrent parmi des touffes de sapins, dont les feuillages persistants luisaient au soleil, d’un vert sombre. Et, un banc se trouvant là, dans ce coin solitaire, caché aux regards, ils s’assirent, sans même se consulter cette fois, comme amenés à cette place par une entente.

— Il fait beau tout de même, aujourd’hui, dit-elle après un silence.

— Oui, répondit-il, le soleil a reparu.

Mais leur pensée n’était point à cela. Lui, qui fuyait les femmes, venait de songer aux événements qui l’avaient rapproché de celle-ci. Elle était là, elle le touchait, elle menaçait d’envahir son existence, et il en éprouvait une continuelle surprise. Depuis le dernier interrogatoire, à Rouen, il n’en doutait plus, cette femme était complice dans le meurtre de la Croix-de-Maufras. Comment ? à la suite de quelles circonstances ? poussée par quelle passion ou quel intérêt ? il s’était posé ces questions, sans pouvoir clairement les résoudre. Pourtant, il avait fini par arranger une histoire : le mari intéressé, violent, ayant hâte d’entrer en possession du legs ; peut-être la peur que le testament ne fût changé à leur désavantage ; peut-être le calcul d’attacher sa femme à lui, par un lien sanglant. Et il s’en tenait à cette histoire, dont les coins obscurs l’attiraient, l’intéressaient, sans qu’il cherchât à les