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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/155

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éclaircir. L’idée que son devoir serait de tout dire à la justice, l’avait hanté aussi. Même c’était cette idée qui le préoccupait, depuis qu’il se trouvait assis sur ce banc, près d’elle, si près, qu’il sentait contre sa hanche la tiédeur de la sienne.

— En mars, reprit-il, c’est étonnant, de pouvoir ainsi rester dehors, comme en été.

— Oh ! dit-elle, dès que le soleil monte, ça se sent bien.

Et, de son côté, elle réfléchissait qu’il aurait fallu vraiment que ce garçon fût bête, pour ne pas les avoir devinés coupables. Ils s’étaient trop jetés à sa tête, elle continuait à se serrer trop contre lui, en ce moment même. Aussi, dans le silence coupé de paroles vides, suivait-elle les réflexions qu’il faisait. Leurs yeux s’étant rencontrés, elle venait de lire qu’il en arrivait à se demander si ce n’était pas elle qu’il avait vue, pesant de tout son poids sur les jambes de la victime, ainsi qu’une masse noire. Que faire, que dire, pour le lier d’un lien indestructible ?

— Ce matin, ajouta-t-elle, il faisait très froid au Havre.

— Sans compter, dit-il, toute l’eau que nous avons reçue.

Et, à cet instant, Séverine eut une brusque inspiration. Elle ne raisonna pas, ne discuta pas : cela lui arrivait, comme une impulsion instinctive, des profondeurs obscures de son intelligence et de son cœur ; car, si elle avait discuté, elle n’aurait rien dit. Mais elle sentait que cela était très bien, et qu’en parlant, elle le conquérait.

Doucement, elle lui prit la main, elle le regarda. Les touffes d’arbres verts les cachaient aux passants des rues voisines ; ils n’entendaient qu’un lointain roulement de voitures, assourdi dans cette solitude ensoleillée du square ; tandis que, seul, au détour de l’allée, un enfant était là, jouant en silence à emplir de sable un petit seau avec