Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/158

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les autres, ni même mon mari, aient rien à y voir… Maintenant, lâchez-moi la main, et ne me regardez plus comme ça, parce que vous allez vous user les yeux.

Mais il gardait ses doigts délicats entre les siens. Très bas, il bégaya :

— Vous savez que je vous aime.

Vivement, elle s’était dégagée, d’une légère secousse. Et, debout devant le banc, où il restait assis.

— En voilà une folie, par exemple ! Soyez convenable, on vient.

En effet, une nourrice arrivait, avec son poupon endormi entre les bras. Puis, une jeune fille passa, très affairée. Le soleil baissait, se noyait à l’horizon, dans des vapeurs violâtres, et les rayons s’en allaient des pelouses, mourant en poussière d’or, à la pointe verte des sapins. Il y eut comme un arrêt subit dans le roulement continu des voitures. On entendit sonner cinq heures, à une horloge voisine.

— Ah ! mon Dieu ! s’écria Séverine, cinq heures, et j’ai rendez-vous rue du Rocher !

Sa joie tombait, elle retrouvait l’angoisse de l’inconnu qui l’attendait, là-bas, en se souvenant qu’elle n’était pas sauvée encore. Elle devint toute pâle, les lèvres tremblantes.

— Mais le chef du dépôt que vous aviez à voir ? dit Jacques, qui s’était levé du banc pour la reprendre à son bras.

— Tant pis ! je le verrai une autre fois… Écoutez, mon ami, je n’ai plus besoin de vous, laissez-moi vite faire ma course. Et merci encore, merci de tout mon cœur.

Elle lui serrait les mains, elle se hâtait.

— À tout à l’heure, au train.

— Oui, à tout à l’heure.

Déjà, elle s’éloignait d’un pas rapide, elle disparaissait