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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/157

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près d’une femme, à l’idée de la possession. Les autres, il n’avait pu toucher à leur chair, sans éprouver le désir d’y mordre, dans une abominable faim d’égorgement. Pourrait-il donc l’aimer, celle-là, et ne point la tuer ?

— Vous savez bien que je suis votre ami et que vous n’avez rien à craindre de moi, murmura-t-il à son oreille. Je ne veux pas connaître vos affaires, ce sera comme il vous plaira… Vous m’entendez ? disposez entièrement de ma personne.

Il s’était approché si près de son visage, qu’il sentait son haleine chaude dans ses moustaches. Le matin encore, il en aurait tremblé, sous la peur sauvage d’une crise. Que se passait-il, pour qu’il lui restât à peine un frémissement, avec la lassitude heureuse des convalescences ? Cette idée qu’elle avait tué, devenue une certitude, la lui montrait différente, grandie, à part. Peut-être bien n’avait-elle pas aidé seulement, mais frappé. Il en fut convaincu, sans preuve aucune. Et, dès lors, elle sembla lui être sacrée, en dehors de tout raisonnement, dans l’inconscience du désir effrayé qu’elle lui inspirait.

Tous les deux à présent causaient avec gaieté, en couple de rencontre, chez qui l’amour commence.

— Vous devriez me donner votre autre main, pour que je la réchauffe.

— Oh ! non, pas ici. On nous verrait.

— Qui donc ? puisque nous sommes seuls… Et d’ailleurs, il n’y aurait pas grand mal. Les enfants ne se font pas comme ça.

— Je l’espère bien.

Elle riait franchement, dans la joie d’être sauvée. Elle ne l’aimait pas, ce garçon ; elle croyait en être bien sûre ; et si elle s’était promise, elle rêvait déjà au moyen de ne pas payer. Il avait l’air gentil, il ne la tourmenterait pas, tout s’arrangeait très bien.

— C’est entendu, nous sommes camarades, sans que