Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/161

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Mais il désirait les garder à sa merci, la femme et l’homme. Il fit allusion à la lettre.

— Souvenez-vous que le dossier reste là, et qu’à la moindre faute, tout peut être repris… Surtout, recommandez à votre mari de ne plus s’occuper de politique. Sur ce chapitre, nous serions impitoyables. Je sais qu’il s’est déjà compromis, on m’a parlé d’une querelle fâcheuse avec le sous-préfet ; enfin, il passe pour républicain, c’est détestable… N’est-ce pas ? qu’il soit sage, ou nous le supprimerons, simplement.

Elle était debout, ayant hâte maintenant d’être dehors, pour donner de l’espace à la joie qui la suffoquait.

— Monsieur, nous vous obéirons, nous serons ce qu’il vous plaira… N’importe quand, n’importe où, vous n’aurez qu’à commander : je vous appartiens.

Il s’était remis à sourire, de son air las, avec la pointe de dédain d’un homme qui avait longuement bu au néant de toutes choses.

— Oh ! je n’abuserai pas, madame, je n’abuse plus.

Et lui-même ouvrit la porte du cabinet. Sur le palier, elle se retourna deux fois, avec son visage rayonnant, qui le remerciait encore.

Dans la rue du Rocher, Séverine marcha follement. Elle s’aperçut qu’elle remontait la rue, sans raison ; et elle redescendit la pente, traversant la chaussée pour rien, au risque de se faire écraser. C’était un besoin de mouvement, de gestes, de cris. Déjà, elle comprenait pourquoi on leur faisait grâce, et elle se surprit à se dire :

— Parbleu ! ils ont peur, il n’y a pas de danger qu’ils remuent ces choses-là, j’ai été bien bête de me torturer. C’est évident… Ah ! quelle chance ! sauvée, sauvée pour tout de bon, cette fois !… Et n’importe, je vais effrayer mon mari, afin qu’il se tienne tranquille… Sauvée, sauvée, quelle chance !

Comme elle débouchait dans la rue Saint-Lazare, elle vit,