Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/17

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montrer qu’il coupait comme un rasoir, il s’en taillait les ongles.

— Déjà quatre heures un quart, murmura Séverine, debout devant le coucou. J’ai encore quelques courses… Il faut songer à notre train.

Mais, comme pour achever de se calmer, avant de mettre un peu d’ordre dans la chambre, elle retourna s’accouder à la fenêtre. Lui, alors, lâchant le couteau, lâchant sa pipe, quitta la table à son tour, s’approcha d’elle, la prit par derrière, entre ses bras, doucement. Et il la tenait enlacée ainsi, il avait posé le menton sur son épaule, appuyé la tête contre la sienne. Ni l’un ni l’autre ne bougeait plus, ils regardaient.

Sous eux, toujours, les petites machines de manœuvre allaient et venaient sans repos ; et on les entendait à peine s’activer, comme des ménagères vives et prudentes, les roues assourdies, le sifflet discret. Une d’elles passa, disparut sous le pont de l’Europe, emmenant au remisage les voitures d’un train de Trouville, qu’on débranchait. Et, là-bas, au-delà du pont, elle frôla une machine venue seule du Dépôt, en promeneuse solitaire, avec ses cuivres et ses aciers luisants, fraîche et gaillarde pour le voyage. Celle-ci s’était arrêtée, demandant de deux coups brefs la voie à l’aiguilleur, qui, presque immédiatement, l’envoya sur son train, tout formé, à quai sous la marquise des grandes lignes. C’était le train de quatre heures vingt-cinq, pour Dieppe. Un flot de voyageurs se pressait, on entendait le roulement des chariots chargés de bagages, des hommes poussaient une à une les bouillottes dans les voitures. Mais la machine et son tender avaient abordé le fourgon de tête, d’un choc sourd, et l’on vit le chef d’équipe serrer lui-même la vis de la barre d’attelage. Le ciel s’était assombri vers les Batignolles ; une cendre crépusculaire, noyant les façades, semblait tomber déjà sur l’éventail élargi des voies ; tandis que, dans cet efface-