Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/18

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ment, au lointain, se croisaient sans cesse les départs et les arrivées de la Banlieue et de la Ceinture. Par delà les nappes sombres des grandes halles couvertes, sur Paris obscurci, des fumées rousses, déchiquetées, s’envolaient.

— Non, non, laisse-moi, murmura Séverine.

Peu à peu, sans une parole, il l’avait enveloppée d’une caresse plus étroite, excité par la tiédeur de ce corps jeune, qu’il tenait ainsi à pleins bras. Elle le grisait de son odeur, elle achevait d’affoler son désir, en cambrant les reins pour se dégager. D’une secousse, il l’enleva de la fenêtre, dont il referma les vitres du coude. Sa bouche avait rencontré la sienne, il lui écrasait les lèvres, il l’emportait vers le lit.

— Non, non, nous ne sommes pas chez nous, répéta-t-elle. Je t’en prie, pas dans cette chambre !

Elle-même était comme grise, étourdie de nourriture et de vin, encore vibrante de sa course fiévreuse à travers Paris. Cette pièce trop chauffée, cette table où traînait la débandade du couvert, l’imprévu du voyage qui tournait en partie fine, tout lui allumait le sang, la soulevait d’un frisson. Et pourtant elle se refusait, elle résistait, arc-boutée contre le bois du lit, dans une révolte effrayée, dont elle n’aurait pu dire la cause.

— Non, non, je ne veux pas.

Lui, le sang à la peau, retenait ses grosses mains brutales. Il tremblait, il l’aurait brisée.

— Bête, est-ce qu’on saura ? Nous retaperons le lit.

D’habitude, elle s’abandonnait avec une docilité complaisante, chez eux, au Havre, après le déjeuner, lorsqu’il était de service de nuit. Cela semblait sans plaisir pour elle, mais elle y montrait une mollesse heureuse, un affectueux consentement de son plaisir à lui. Et ce qui, en ce moment, le rendait fou, c’était de la sentir comme jamais il ne l’avait eue, ardente, frémissante de passion sensuelle. Le noir reflet de sa chevelure assombrissait ses