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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/173

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déjeuner et au dîner, paraissait prise d’une fièvre de bonne ménagère. D’habitude, elle s’asseyait, brodait, détestant de toucher au ménage, qu’une vieille femme, la mère Simon, venait faire, de neuf heures à midi. Mais, depuis qu’elle se retrouvait tranquille chez elle, certaine d’y rester, des idées de nettoyage, d’arrangement, l’occupaient. Elle ne reprenait sa chaise qu’après avoir fureté partout. Du reste, tous deux dormaient d’un bon sommeil. Dans leurs rares tête-à-tête, aux repas, ainsi que les nuits où ils couchaient ensemble, jamais ils ne reparlaient de l’affaire ; et ils devaient croire que c’était chose finie, enterrée.

Pour Séverine, surtout, l’existence redevint ainsi très douce. Ses paresses la reprirent, elle abandonna de nouveau le ménage à la mère Simon, en demoiselle faite seulement pour les fins travaux d’aiguille. Elle avait commencé une œuvre interminable, tout un couvre-pied brodé, qui menaçait de l’occuper sa vie entière. Elle se levait assez tard, heureuse de rester seule au lit, bercée par les départs et les arrivées des trains, qui marquaient pour elle la marche des heures, exactement, ainsi qu’une horloge. Dans les premiers temps de son mariage, ces bruits violents de la gare, coups de sifflet, chocs de plaques tournantes, roulements de foudre, ces trépidations brusques, pareilles à des tremblements de terre, qui la secouaient avec les meubles, l’avaient affolée. Puis, peu à peu, l’habitude était venue, la gare sonore et frissonnante entrait dans sa vie ; et, maintenant, elle s’y plaisait, son calme était fait de cette agitation et de ce vacarme. Jusqu’au déjeuner, elle voyageait d’une pièce dans l’autre, causait avec la femme de ménage, les mains inertes. Puis, elle passait les longs après-midi, assise devant la fenêtre de la salle à manger, son ouvrage le plus souvent tombé sur les genoux, heureuse de ne rien faire. Les semaines où son mari remontait se coucher au petit