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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/186

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daient, ils ne se lassaient pas de se retrouver pour un moment, de marcher ensemble par les ténèbres, entre les grands tas de charbon qui assombrissaient la nuit, autour d’eux.

Une nuit de juillet, Jacques, pour arriver au Havre à onze heures cinq, l’heure réglementaire, dut pousser la Lison, comme si la chaleur étouffante l’eût rendue paresseuse. Depuis Rouen, sur sa gauche, un orage l’accompagnait, suivant la vallée de la Seine, avec de larges éclairs éblouissants ; et, de temps à autre, il se retournait, pris d’inquiétude, car Séverine, ce soir-là, devait venir le rejoindre. Sa peur était que cet orage, s’il éclatait trop tôt, ne l’empêchât de sortir. Aussi, lorsqu’il eut réussi à entrer en gare, avant la pluie, s’impatienta-t-il contre les voyageurs, qui n’en finissaient point de débarrasser les wagons.

Roubaud était là, sur le quai, cloué pour la nuit.

— Diable ! dit-il en riant, vous êtes bien pressé d’aller vous coucher… Dormez bien.

— Merci.

Et Jacques, après avoir refoulé le train, siffla et se rendit au Dépôt. Les vantaux de l’immense porte étaient ouverts, la Lison s’engouffra sous le hangar fermé, une sorte de galerie à deux voies, longue environ de soixante-dix mètres, et qui pouvait contenir six machines. Il y faisait très sombre, quatre becs de gaz éclairaient à peine les ténèbres, qu’ils semblaient accroître de grandes ombres mouvantes ; et seuls, par moments, les larges éclairs enflammaient le vitrage du toit et les hautes fenêtres, à droite et à gauche : on distinguait alors, comme dans une flambée d’incendie, les murs lézardés, les charpentes noires de charbon, toute la misère caduque de cette bâtisse, devenue insuffisante. Deux machines étaient déjà là, froides, endormies.

Tout de suite, Pecqueux se mit à éteindre le foyer. Il