Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/191

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se reposer tout vêtus lorsqu’ils n’avaient à attendre, au Havre, que trois ou quatre heures. En effet, dès qu’il eut vu disparaître le chauffeur dans le ruissellement, vers la maison des Sauvagnat, il se risqua à son tour, courut au corps de garde. Mais il ne se coucha pas, se tint sur le seuil de la porte grande ouverte, étouffé par l’épaisse chaleur qui régnait là. Dans le fond, un mécanicien, allongé sur le dos, ronflait, la bouche élargie.

Quelques minutes encore se passèrent, et Jacques ne pouvait se résigner à perdre son espoir. Dans son exaspération contre ce déluge imbécile, grandissait une folle envie d’aller quand même au rendez-vous, d’avoir au moins la joie d’y être, lui, s’il ne comptait plus y trouver Séverine. C’était un élancement de tout son corps, il finit par sortir sous l’averse, il arriva à leur coin préféré, suivit l’allée noire que formaient les tas de charbon. Et, comme les grosses gouttes, cinglant de face, l’aveuglaient, il poussa jusqu’à la remise aux outils, où, une fois déjà, il s’était abrité avec elle. Il lui semblait qu’il y serait moins seul.

Jacques entrait dans l’obscurité profonde de ce réduit, lorsque deux bras légers l’enveloppèrent, et des lèvres chaudes se posèrent sur ses lèvres. Séverine était là.

— Mon Dieu ! vous étiez venue ?

— Oui, j’ai vu monter l’orage, je suis accourue ici, avant la pluie… Comme vous avez tardé !

Elle soupirait d’une voix défaillante, jamais il ne l’avait eue si abandonnée à son cou. Elle glissa, elle se trouva assise sur les sacs vides, sur cette couche molle qui occupait tout un angle. Et lui, tombé près d’elle, sans que leurs bras se fussent dénoués, sentait ses jambes en travers des siennes. Ils ne pouvaient se voir, leurs haleines les enveloppaient comme d’un vertige, dans l’anéantissement de tout ce qui les entourait.

Mais, sous l’ardent appel de leur baiser, le tutoiement