Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/190

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— Dites, c’est donc que vous aviez de l’occupation, ce soir ? Hein ! à nous deux, on ne peut guère nous reprocher d’user les matelas, là-bas, rue François-Mazeline.

Vivement, Jacques quitta la fenêtre.

— Pourquoi ça ?

— Dame, vous voilà comme moi, depuis ce printemps, à n’y rentrer qu’à des deux et trois heures du matin.

Il devait savoir quelque chose, peut-être avait-il surpris un rendez-vous. Dans chaque dortoir, les lits allaient par couple, celui du chauffeur près de celui du mécanicien ; car on resserrait le plus possible l’existence de ces deux hommes, destinés à une entente de travail si étroite. Aussi n’était-il pas étonnant que celui-ci s’aperçût de la conduite irrégulière de son chef, très rangé jusque-là.

— J’ai des maux de tête, dit le mécanicien au hasard. Ça me fait du bien, de marcher la nuit.

Mais déjà le chauffeur se récriait.

— Oh ! vous savez, vous êtes bien libre… Ce que j’en dis, c’est pour la farce… Même que, si vous aviez de l’ennui un jour, faut pas se gêner de vous adresser à moi ; parce que je suis bon là, pour tout ce que vous voudrez.

Sans s’expliquer plus clairement, il se permit de lui prendre la main, la serra à l’écraser, dans le don entier de sa personne. Puis, il froissa et jeta le papier gras qui avait enveloppé la viande, remit la bouteille vide dans le panier, fit ce petit ménage en serviteur soigneux, habitué au balai et à l’éponge. Et, comme la pluie s’entêtait, bien que les coups de tonnerre eussent cessé :

— Alors, je file, je vous laisse à vos affaires.

— Oh ! dit Jacques, puisque ça continue, je vais aller m’étendre sur le lit de camp.

C’était, à côté du Dépôt, une salle avec des matelas, protégés par des housses de toile, où les hommes venaient