Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/194

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du charbon. Depuis quelques semaines surtout, pas de nuit ne se passait sans qu’il eût de la sorte des hallucinations de brigands imaginaires. Cette fois, sous l’empire d’une frayeur soudaine, il avait tiré au hasard, dans les ténèbres.

— Vite, vite ! ne restons pas là, murmura le jeune homme. Ils vont visiter la remise… Sauve-toi !

D’un grand élan, ils s’étaient repris, s’étouffant à pleins bras, à pleines lèvres. Puis, Séverine, légère, fila le long du dépôt, protégée par le vaste mur ; tandis que lui, doucement, se dissimulait au milieu des tas de charbon. Et il était temps, en vérité, car Roubaud voulait en effet visiter la remise. Il jurait que les maraudeurs devaient y être. Les lanternes des surveillants dansaient au ras du sol. Il y eut une querelle. Tous finirent par reprendre le chemin de la gare, irrités de cette poursuite inutile.

Et, comme Jacques, rassuré, se décidait à aller enfin se coucher rue François-Mazeline, il fut surpris de se heurter presque dans Pecqueux, qui achevait de rattacher ses vêtements, avec de sourds jurons.

— Quoi donc, mon vieux ?

— Ah ! nom de Dieu ! ne m’en parlez pas ! Ce sont ces imbéciles qui ont réveillé Sauvagnat. Il m’a entendu avec sa sœur, il est descendu en chemise, et je me suis dépêché de sauter par la fenêtre… Tenez ! écoutez un peu.

Des cris, des sanglots de femme qu’on corrige s’élevaient, pendant qu’une grosse voix d’homme grondait des injures.

— Hein ? Ça y est, il lui allonge sa raclée. Elle a beau avoir trente-deux ans, il lui donne le fouet comme à une petite fille, quand il la surprend… Ah ! tant pis, je ne m’en mêle pas : c’est son frère !

— Mais, dit Jacques, je croyais qu’il vous tolérait, vous, qu’il ne se fâchait que lorsqu’il la trouvait avec un autre.