Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/195

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— Oh ! on ne sait jamais. Des fois, il fait semblant de ne pas me voir. Puis, vous entendez, des fois, il cogne… Ça ne l’empêche pas d’aimer sa sœur. Elle est sa sœur, il préférerait tout lâcher que de se séparer d’elle. Seulement, il veut de la conduite… Nom de Dieu ! je crois qu’elle a son compte aujourd’hui.

Les cris cessaient, dans de grands soupirs de plainte, et les deux hommes s’éloignèrent. Dix minutes plus tard, ils dormaient profondément, côte à côte, au fond du petit dortoir badigeonné de jaune, meublé simplement de quatre lits, de quatre chaises et d’une table, où il y avait une seule cuvette en zinc.

Alors, chaque nuit de rendez-vous, Jacques et Séverine goûtèrent de grandes félicités. Ils n’eurent pas toujours, autour d’eux, cette protection de la tempête. Des cieux étoilés, des lunes éclatantes, les gênèrent, mais, à ces rendez-vous-là, ils filaient dans les raies d’ombre, ils cherchaient les coins d’obscurité, où il était si bon de se serrer l’un contre l’autre. Et il y eut ainsi, en août et en septembre, des nuits adorables, d’une telle douceur, qu’ils se seraient laissé surprendre par le soleil, alanguis, si le réveil de la gare, de lointains souffles de machine, ne les avaient séparés. Même les premiers froids d’octobre ne leur déplurent pas. Elle venait plus couverte, enveloppée d’un grand manteau, dans lequel lui-même disparaissait à moitié. Puis, ils se barricadaient au fond de la remise aux outils, qu’il avait trouvé le moyen de fermer à l’intérieur, à l’aide d’une barre de fer. Ils y étaient comme chez eux, les ouragans de novembre, les coups de vent pouvaient arracher les ardoises des toitures, sans même leur effleurer la nuque. Cependant, lui, depuis le premier soir, avait une envie, celle de la posséder chez elle, dans cet étroit logement où elle lui semblait autre, plus désirable, avec son calme souriant de bourgeoise honnête ; et elle s’y était toujours refusée, moins par crainte de l’espionnage du