Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/217

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Le froid était terrible, la neige entrait, et les têtes disparurent, les glaces se relevèrent. Mais, au fond des voitures closes, une agitation persistait, une anxiété, dont on sentait le sourd bourdonnement. Seules, deux glaces restaient baissées ; et, accoudés, à trois compartiments de distance, deux voyageurs causaient, un Américain d’une quarantaine d’années, un jeune homme habitant Le Havre, très intéressés l’un et l’autre par le travail de déblaiement.

— En Amérique, monsieur, tout le monde descend et prend des pelles.

— Oh ! ce n’est rien, j’ai été déjà bloqué deux fois, l’année dernière. Mes occupations m’appellent toutes les semaines à Paris.

— Et moi toutes les trois semaines environ, monsieur.

— Comment, de New York ?

— Oui, monsieur, de New York.

Jacques menait le travail. Ayant aperçu Séverine à une portière du premier wagon, où elle se mettait toujours pour être plus près de lui, il l’avait suppliée du regard ; et, comprenant, elle s’était retirée, pour ne pas rester à ce vent glacial qui lui brûlait la figure. Lui, dès lors, songeant à elle, avait travaillé de grand cœur. Mais il remarquait que la cause de l’arrêt, l’empâtement dans la neige, ne provenait pas des roues : celles-ci coupaient les couches les plus épaisses ; c’était le cendrier, placé entre elles, qui faisait obstacle, roulant la neige, la durcissant en paquets énormes. Et une idée lui vint.

— Il faut dévisser le cendrier.

D’abord, le conducteur-chef s’y opposa. Le mécanicien était sous ses ordres, il ne voulait pas l’autoriser à toucher à la machine. Puis, il se laissa convaincre.

— Vous en prenez la responsabilité, c’est bon !

Seulement, ce fut une dure besogne. Allongés sous la machine, le dos dans la neige qui fondait, Jacques et Pecqueux durent travailler pendant près d’une demi-heure.