Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/216

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avait jusqu’aux genoux. Il s’approcha, les trois hommes tinrent conseil.

— Nous ne pouvons qu’essayer de déblayer, finit par dire le mécanicien. Heureusement, nous avons des pelles. Appelez votre conducteur d’arrière, et à nous quatre nous finirons bien par dégager les roues.

On fit signe au conducteur d’arrière, qui, lui aussi, était descendu du fourgon. Il arriva à grand-peine, noyé par instants. Mais cet arrêt en pleine campagne, au milieu de cette solitude blanche, ce bruit clair des voix discutant ce qu’il y avait à faire, cet employé sautant le long du train, à pénibles enjambées, avaient inquiété les voyageurs. Des glaces se baissèrent. On criait, on questionnait, toute une confusion, vague encore et grandissante.

— Où sommes-nous ?… Pourquoi a-t-on arrêté ?… Qu’y a-t-il donc ?… Mon Dieu ! est-ce un malheur ?

Le conducteur sentit la nécessité de rassurer le monde. Justement, comme il s’avançait, la dame anglaise, dont l’épaisse face rouge s’encadrait des deux charmants visages de ses filles, lui demanda avec un fort accent :

— Monsieur, ce n’est pas dangereux ?

— Non, non, madame, répondit-il, Un peu de neige simplement. On repart tout de suite.

Et la glace se releva, au milieu du frais gazouillis des jeunes filles, cette musique des syllabes anglaises, si vives sur des lèvres roses. Toutes deux riaient, très amusées.

Mais, plus loin, le monsieur âgé appelait le conducteur, tandis que sa jeune femme risquait derrière lui sa jolie tête brune.

— Comment n’a-t-on pas pris des précautions ? C’est insupportable… Je rentre de Londres, mes affaires m’appellent à Paris ce matin, et je vous préviens que je rendrai la Compagnie responsable de tout retard.

— Monsieur, ne put que répéter l’employé, on va repartir dans trois minutes.