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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/22

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Il l’aurait tuée, elle le lisait nettement dans son regard. En tombant, elle avait aperçu le couteau, ouvert sur la table ; et elle revoyait l’éclair de la lame, elle crut qu’il allongeait le bras. Une lâcheté l’envahit, un abandon d’elle-même et de tout, un besoin d’en finir.

— Eh bien ! oui, c’est vrai, laisse-moi m’en aller.

Alors, ce fut abominable. Cet aveu qu’il exigeait si violemment, venait de l’atteindre en pleine figure, comme une chose impossible, monstrueuse. Il semblait que jamais il n’aurait supposé une infamie pareille. Il lui empoigna la tête, il la cogna contre un pied de la table. Elle se débattait, et il la tira par les cheveux, au travers de la pièce, bousculant les chaises. Chaque fois qu’elle faisait un effort pour se redresser, il la rejetait sur le carreau d’un coup de poing. Et cela haletant, les dents serrées, un acharnement sauvage et imbécile. La table, poussée, faillit renverser le poêle. Des cheveux et du sang restèrent à un angle du buffet. Quand ils reprirent haleine, hébétés, gonflés de cette horreur, las de frapper et d’être frappée, ils étaient revenus près du lit, elle toujours par terre, vautrée, lui accroupi, la tenant encore aux épaules. Et ils soufflèrent. En bas, la musique continuait, les rires s’envolaient, très sonores et très jeunes.

D’une secousse, Roubaud remonta Séverine, l’adossa contre le bois du lit. Puis, demeurant à genoux, pesant sur elle, il put parler enfin. Il ne la battait plus, il la torturait de ses questions, du besoin inextinguible qu’il avait de savoir.

— Ainsi, tu as couché avec, garce !… Répète, répète que tu as couché avec ce vieux… Et à quel âge, hein ? toute petite, toute petite, n’est-ce pas ?

Brusquement, elle venait d’éclater en larmes, ses sanglots l’empêchaient de répondre.

— Nom de Dieu ! veux-tu me dire !… Hein ? tu n’avais pas dix ans, que tu l’amusais, ce vieux ? C’est pour ça