Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/223

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cendus en paletots épais, tout ce luxe confortable, échoué parmi cette mer de glace, les immobilisaient d’étonnement. Mais Flore avait reconnu Séverine. Elle, qui guettait chaque fois le train de Jacques, s’était aperçue, depuis quelques semaines, de la présence de cette femme, dans l’express du vendredi matin ; d’autant plus que celle-ci, lorsqu’elle approchait du passage à niveau, mettait la tête à la portière, pour donner un coup d’œil à sa propriété de la Croix-de-Maufras. Les yeux de Flore noircirent, en la voyant causer à demi-voix, avec le mécanicien.

— Ah ! madame Roubaud ! s’écria Misard, qui venait aussi de la reconnaître, et qui prit immédiatement son air obséquieux. En voilà une mauvaise chance !… Mais vous n’allez pas rester là, il faut descendre chez nous.

Jacques, après avoir serré la main du garde-barrière, appuya son offre.

— Il a raison… On en a peut-être pour des heures, vous auriez le temps de mourir de froid.

Séverine refusait, bien couverte, disait-elle. Puis, les trois cents mètres dans la neige l’effrayaient un peu. Alors, s’approchant, Flore, qui la regardait de ses grands yeux fixes, dit enfin :

— Venez, madame, je vous porterai.

Et, avant que celle-ci eût accepté, elle l’avait saisie dans ses bras vigoureux de garçon, elle la soulevait ainsi qu’un petit enfant. Ensuite, elle la déposa de l’autre côté de la voie, à une place déjà foulée, où les pieds n’enfonçaient plus. Des voyageurs s’étaient mis à rire, émerveillés. Quelle gaillarde ! Si l’on en avait eu une douzaine comme ça, le déblaiement n’aurait pas demandé deux heures.

Cependant, la proposition de Misard, cette maison de garde-barrière, où l’on pouvait se réfugier, trouver du feu, peut-être du pain et du vin, courait d’une voiture à une autre. La panique s’était calmée, lorsqu’on avait compris