Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/227

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sous ce jour livide. Non, non, elle n’avait rien à y voir, elle préférait rester là, à attendre, chaudement.

— Asseyez-vous donc, madame, reprit Flore. Il fait encore meilleur ici qu’à côté. Et puis, nous ne trouverons jamais assez de pain pour tous ces gens ; tandis que, si vous avez faim, il y en aura toujours un morceau pour vous.

Elle avait avancé une chaise, elle continuait à se montrer prévenante, en faisant un visible effort pour corriger sa rudesse ordinaire. Mais ses yeux ne quittaient pas la jeune femme, comme si elle voulait lire en elle, se faire une certitude sur une question qu’elle se posait depuis quelque temps ; et, sous son empressement, il y avait ce besoin de l’approcher, de la dévisager, de la toucher, afin de savoir.

Séverine remercia, s’installa près du poêle, préférant, en effet, être seule avec la malade, dans cette chambre où elle espérait que Jacques trouverait le moyen de la rejoindre. Deux heures se passèrent, elle cédait à la grosse chaleur, et s’endormait, après avoir causé du pays, lorsque Flore, appelée à chaque instant dans la cuisine, rouvrit la porte, en disant, de sa voix dure :

— Entre, puisqu’elle est par ici !

C’était Jacques, qui s’échappait, pour apporter de bonnes nouvelles. L’homme, envoyé à Barentin, venait de ramener toute une équipe, une trentaine de soldats que l’administration avait dirigés sur les points menacés, en prévision des accidents : et tous étaient à l’œuvre, avec des pioches et des pelles. Seulement, ce serait long, on ne repartirait peut-être pas avant la nuit.

— Enfin, vous n’êtes pas trop mal, prenez patience, ajouta-t-il. N’est-ce pas, tante Phasie, vous n’allez pas laisser madame Roubaud mourir de faim ?

Phasie, à la vue de son grand garçon, comme elle le nommait, s’était péniblement mise sur son séant, et elle