Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/230

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d’homme qu’on mettrait dans sa poche, ça finirait par venir à bout d’une grosse femme comme moi, si on le laissait faire, avec ses dents de rat !

Un petit frisson l’avait prise. Elle respira péniblement avant d’achever.

— N’importe, ce ne sera pas pour ce coup-ci. Je vais mieux, je serai sur mes pattes avant quinze jours… Et, cette fois, il faudra qu’il soit bien malin pour me repincer. Ah ! oui, je suis curieuse de voir ça. S’il trouve le moyen de me redonner de sa drogue, c’est que, décidément, il est le plus fort, et alors, tant pis ! je claquerai… Qu’on ne s’en mêle pas !

Jacques pensait que la maladie lui hantait le cerveau de ces imaginations noires ; et, pour la distraire, il tâchait de plaisanter, lorsqu’elle se mit à trembler sous la couverture.

— Le voici, souffla-t-elle. Je le sens, quand il approche.

En effet, quelques secondes après, Misard entra. Elle était devenue livide, en proie à cette terreur involontaire des colosses devant l’insecte qui les ronge ; car, dans son obstination à se défendre seule, elle avait de lui une épouvante croissante, qu’elle n’avouait pas. Misard, d’ailleurs, qui dès la porte, les avait enveloppés, elle et le mécanicien, d’un vif regard, ne parut même pas ensuite les avoir vus, côte à côte ; et, les yeux ternes, la bouche mince, avec son air doux d’homme chétif, il se confondait déjà en prévenances devant Séverine.

— J’ai pensé que madame voudrait peut-être profiter de l’occasion pour donner un coup d’œil à sa propriété. Alors, je me suis échappé un instant… Si madame désire que je l’accompagne.

Et, comme la jeune femme refusait de nouveau, il continua d’une voix dolente :

— Madame a peut-être été étonnée, à cause des fruits… Ils étaient tous véreux, et ça ne valait vraiment pas l’em-