Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/229

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il pouvait bien me flanquer sa drogue. Je ne buvais, je ne mangeais rien de ce qu’il touchait et tout de même, chaque soir, j’avais le ventre en feu… Eh bien ! il me la collait dans le sel, sa drogue ! Un soir, je l’ai vu… Moi qui en mettais sur tout, des quantités, pour purifier !

Jacques, depuis que la possession de Séverine semblait l’avoir guéri, songeait parfois à cette histoire d’empoisonnement, lent et obstiné, comme on songe à un cauchemar, avec des doutes. Il serra tendrement à son tour les mains de la malade, il voulut la calmer.

— Voyons, est-ce possible, tout ça ?… Pour dire des choses pareilles, il faut être vraiment bien sûr… Et puis, ça traîne trop ! Allez, c’est plutôt une maladie à laquelle les médecins ne comprennent rien.

— Une maladie, reprit-elle en ricanant, une maladie qu’il m’a fichue dans la peau, oui !… Pour les médecins, tu as raison : il en est venu deux qui n’ont rien compris, et qui ne sont pas seulement tombés d’accord. Je ne veux pas qu’un seul de ces oiseaux remette les pieds ici… Entends-tu, il me collait ça dans le sel. Puisque je te jure que je l’ai vu ! C’est pour mes mille francs, les mille francs que papa m’a laissés. Il se dit que, lorsqu’il m’aura détruite, il les trouvera bien. Ça, je l’en défie : ils sont dans un endroit où personne ne les découvrira, jamais, jamais !… Je puis m’en aller, je suis tranquille, personne ne les aura jamais, mes mille francs !

— Mais tante Phasie, moi, à votre place, j’enverrais chercher les gendarmes, si j’étais si certain que ça.

Elle eut un geste de répugnance.

— Oh ! non, pas les gendarmes… Ça ne regarde que nous, cette affaire ; c’est entre lui et moi. Je sais qu’il veut me manger, et moi je ne veux pas qu’il me mange, naturellement. Alors, n’est-ce pas ? je n’ai qu’à me défendre, à ne pas être aussi bête que je l’ai été, avec son sel… Hein ? qui le croirait ? un avorton pareil, un bout