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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/24

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Roubaud haletait.

— Enfin, à quel âge, répète, à quel âge ?

— Seize ans et demi.

— Tu mens !

Mentir, mon Dieu ! pourquoi ? Elle eut un haussement d’épaules plein d’un abandon et d’une lassitude immenses.

— Et, la première fois, où ça s’est-il passé ?

— À la Croix-de-Maufras.

Il hésita une seconde, ses lèvres s’agitaient, une lueur jaune troublait ses yeux.

— Et, je veux que tu me dises, qu’est-ce qu’il t’a fait ?

Elle resta muette. Puis, comme il brandissait le poing :

— Tu ne me croirais pas.

— Dis toujours… Il n’a pu rien faire, hein ?

D’un signe de tête, elle répondit. C’était bien cela. Et alors, il s’acharna sur la scène, il voulut la connaître jusqu’au bout, il descendit aux mots crus, aux interrogations immondes. Elle ne desserrait plus les dents, elle continuait à dire oui, à dire non, d’un signe. Peut-être ça les soulagerait-il l’un et l’autre, quand elle aurait avoué. Mais lui souffrait davantage de ces détails, qu’elle croyait être une atténuation. Des rapports normaux, complets, l’auraient hanté d’une vision moins torturante. Cette débauche pourrissait tout, enfonçait et retournait au fond de sa chair les lames empoisonnées de sa jalousie. Maintenant, c’était fini, il ne vivrait plus, il évoquerait toujours l’exécrable image.

Un sanglot déchira sa gorge.

— Ah ! nom de Dieu… ah ! nom de Dieu !… ça ne peut pas être, non, non ! c’est trop, ça ne peut pas être !

Puis, tout d’un coup, il la secoua.

— Mais nom de Dieu de garce ! pourquoi m’as-tu épousé ?… Sais-tu que c’est ignoble de m’avoir trompé ainsi ? Il y a des voleuses, en prison, qui n’en ont pas tant