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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/25

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sur la conscience… Tu me méprisais donc, tu ne m’aimais donc pas ?… Hein ! pourquoi m’as-tu épousé ?

Elle eut un geste vague. Est-ce qu’elle savait au juste, à présent ? En l’épousant, elle était heureuse, espérant en finir avec l’autre. Il y a tant de choses qu’on ne voudrait pas faire et qu’on fait, parce qu’elles sont encore les plus sages. Non, elle ne l’aimait pas ; et ce qu’elle évitait de lui dire, c’était que, sans cette histoire, jamais elle n’aurait consenti à être sa femme.

— Lui, n’est-ce pas ? désirait te caser. Il a trouvé une bonne bête… Hein ? il désirait te caser pour que ça continue. Et vous avez continué, hein ? à tes deux voyages, là-bas. C’est pour ça qu’il t’emmenait ?

D’un signe, elle avoua de nouveau.

— Et c’est pour ça encore qu’il t’invitait, cette fois ?… Jusqu’à la fin, alors, ça aurait recommencé, ces ordures ! Et, si je ne t’étrangle pas, ça recommencera !

Ses mains convulsées s’avançaient pour la reprendre à la gorge. Mais, ce coup-ci, elle se révolta.

— Voyons, tu es injuste. Puisque c’est moi qui ai refusé d’y aller. Tu m’y envoyais, j’ai dû me fâcher, rappelle-toi… Tu vois bien que je ne voulais plus. C’était fini. Jamais, jamais plus, je n’aurais voulu.

Il sentit qu’elle disait la vérité, et il n’en eut aucun soulagement. L’affreuse douleur, le fer qui lui restait en pleine poitrine, c’était l’irréparable, ce qui avait eu lieu entre elle et cet homme. Il ne souffrait horriblement que de son impuissance à faire que cela ne fût pas. Sans la lâcher encore, il s’était rapproché de son visage, il semblait fasciné, attiré là, comme pour retrouver, dans le sang de ses petites veines bleues, tout ce qu’elle lui avouait. Et il murmura, obsédé, halluciné :

— À la Croix-de-Maufras, dans la chambre rouge… Je la connais, la fenêtre donne sur le chemin de fer, le lit est en face. Et c’est là, dans cette chambre… Je com- -