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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/241

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seule. Elle reconnaissait chaque chose, la table ronde où elle avait déjeuné avec son mari, le lit drapé de cotonnade rouge, au bord duquel il l’avait abattue d’un coup de poing. C’était bien là, rien n’avait été changé dans la chambre, depuis dix mois qu’elle n’y était venue.

Lentement, Séverine ôta son chapeau. Mais, comme elle allait aussi enlever son manteau, elle grelotta. On gelait dans cette chambre. Près du poêle, dans une petite caisse, il y avait du charbon et du menu bois. Tout de suite, sans se dévêtir davantage, l’idée lui vint d’allumer du feu ; et cela l’amusa, fut une distraction au malaise qu’elle avait éprouvé d’abord. Ce ménage qu’elle faisait d’une nuit d’amour, cette pensée qu’ils auraient bien chaud tous les deux, la rendit à la joie tendre de leur escapade : depuis si longtemps, sans espoir de jamais l’obtenir, ils rêvaient une nuit pareille ! Lorsque le poêle ronfla, elle s’ingénia à d’autres préparatifs, rangea les chaises à sa guise, chercha des draps blancs et refit complètement le lit, ce qui lui donna un vrai mal, car il était en effet très large. Son ennui fut de ne rien trouver à manger ni à boire, dans le buffet : sans doute, depuis trois jours qu’il était le maître, Pecqueux avait balayé jusqu’aux miettes, sur les planches. C’était comme pour la lumière, il n’y avait que ce bout de bougie ; mais, quand on se couche, on n’a pas besoin de voir clair. Et, ayant très chaud maintenant, animée, elle s’arrêta au milieu de la pièce, donnant un coup d’œil, pour s’assurer que rien ne manquait.

Puis, comme elle s’étonnait que Jacques ne fût pas là encore, un coup de sifflet l’attira près d’une des fenêtres. C’était le train de onze heures vingt, un direct pour Le Havre, qui partait. En bas, le vaste champ, la tranchée qui va de la gare au tunnel des Batignolles, n’était plus qu’une nappe de neige, où l’on distinguait seulement l’éventail des rails, aux branches noires. Les machines, les wagons des garages faisaient des amoncel-