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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/242

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lements blancs, comme endormis sous de l’hermine. Et, entre les vitrages immaculés des grandes marquises et les charpentes du pont de l’Europe, bordées de guipures, les maisons de la rue de Rome, en face, se voyaient malgré la nuit, sales, brouillées de jaune, au milieu de tout ce blanc. Le direct du Havre apparut, rampant et sombre, avec son fanal d’avant, qui trouait les ténèbres d’une flamme vive ; et elle le regarda disparaître sous le pont, tandis que les trois feux d’arrière ensanglantaient la neige. Quand elle se retourna vers la chambre, un court frisson la reprit : était-elle vraiment bien seule ? il lui avait semblé sentir un souffle ardent lui chauffer la nuque, le frôlement d’un geste brutal venait de passer sur sa chair, à travers son vêtement. Ses yeux élargis firent de nouveau le tour de la pièce. Non, personne.

À quoi Jacques s’amusait-il donc, pour s’attarder ainsi ? Dix minutes encore se passèrent. Un léger grattement, un bruit d’ongles égratignant du bois, l’inquiéta. Puis, elle comprit, elle courut ouvrir. C’était lui, avec une bouteille de malaga et un gâteau.

Toute secouée de rires, d’un mouvement emporté de caresse, elle se pendit à son cou.

— Oh ! es-tu mignon ! Tu y as songé !

Mais lui, vivement, la fit taire.

— Chut ! chut !

Alors, elle baissa la voix, croyant qu’il était poursuivi par la concierge. Non, il avait eu la chance, comme il allait sonner, de voir la porte s’ouvrir pour une dame et sa fille, qui descendaient de chez les Dauvergne sans doute ; et il avait pu monter sans que personne s’en doutât. Seulement, là, sur le palier, il venait d’apercevoir, par une porte entrebâillée, la marchande de journaux qui terminait un petit savonnage, dans une cuvette.

— Ne faisons pas de bruit, veux-tu ? Parlons doucement.

Elle répondit en le serrant entre ses bras, d’une étreinte