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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/243

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passionnée, et en lui couvrant le visage de baisers muets. Cela l’égayait, de jouer au mystère, de ne plus chuchoter que très bas.

— Oui, oui, tu vas voir : on ne nous entendra pas plus que deux petites souris.

Et elle mit la table avec toutes sortes de précautions, deux assiettes, deux verres, deux couteaux, s’arrêtant avec une envie d’éclater de rire, dès qu’un objet sonnait, posé trop vite.

Lui, qui la regardait faire, amusé aussi, reprit à demi-voix :

— J’ai pensé que tu aurais faim.

— Mais je meurs ! On a si mal dîné à Rouen !

— Dis donc alors, si je redescendais chercher un poulet ?

— Ah ! non, pour que tu ne puisses plus remonter !… Non, non, c’est assez du gâteau.

Tout de suite, ils s’assirent côte à côte, presque sur la même chaise, et le gâteau fut partagé, mangé avec une gaminerie d’amoureux. Elle se plaignait d’avoir soif, elle but coup sur coup deux verres de malaga, ce qui acheva de faire monter le sang à ses joues. Le poêle rougissait derrière leur dos, ils en sentaient l’ardent frisson. Mais, comme il lui posait sur la nuque des baisers trop bruyants, elle l’arrêta à son tour.

— Chut ! chut !

Elle lui faisait signe d’écouter ; et, dans le silence, ils entendirent de nouveau monter, de chez les Dauvergne, un branle sourd, rythmé par un bruit de musique : ces demoiselles venaient d’organiser une sauterie. À côté, la marchande de journaux jetait, dans le plomb du palier, l’eau savonneuse de sa cuvette. Elle referma sa porte, la danse en bas cessa un instant, il n’y eut plus, au-dehors, sous la fenêtre, dans l’étouffement de la neige, qu’un roulement sourd, le départ d’un train, qui semblait pleurer à faibles coups de sifflet.