Aller au contenu

Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/245

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

femme des premiers rendez-vous, si douce, si passive, avec la limpidité de ses yeux bleus. Elle semblait s’être passionnée chaque jour, sous le casque sombre de ses cheveux noirs ; et il l’avait sentie peu à peu s’éveiller, dans ses bras, de cette longue virginité froide, dont ni les pratiques séniles de Grandmorin, ni la brutalité conjugale de Roubaud n’avaient pu la tirer. La créature d’amour, simplement docile autrefois, aimait à cette heure, et se donnait sans réserve, et gardait du plaisir une reconnaissance brûlante. Elle en était arrivée à une violente passion, à de l’adoration pour cet homme qui lui avait révélé ses sens. C’était ce grand bonheur, de le tenir enfin à elle, librement, de le garder contre sa gorge, lié de ses deux bras, qui venait ainsi de serrer ses dents, à ne pas laisser échapper un soupir.

Quand ils rouvrirent les yeux, lui, le premier, s’étonna.

— Tiens ! la bougie s’est éteinte.

Elle eut un léger mouvement, comme pour dire qu’elle s’en moquait bien. Puis, avec un rire étouffé :

— J’ai été sage, hein ?

— Oh ! oui, personne n’a entendu… Deux vraies petites souris !

Lorsqu’ils se furent recouchés, elle le reprit tout de suite dans ses bras, se pelotonna contre lui, enfonça le nez dans son cou. Et, soupirant d’aise :

— Mon Dieu ! qu’on est bien !

Ils ne parlèrent plus. La chambre était noire, on distinguait à peine les carrés pâles des deux fenêtres ; et il n’y avait, au plafond, qu’un rayon du poêle, une tache ronde et sanglante. Ils la regardaient tous les deux, les yeux grands ouverts. Les bruits de musique avaient cessé, des portes battaient, toute la maison tombait à la paix lourde du sommeil. En bas, le train de Caen qui arrivait, ébranla les plaques tournantes, dont les chocs assourdis montaient à peine, comme très lointains.