Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/254

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les os. J’ai pourtant bien chaud, là, avec toi, et je suis si contente !… Et puis, tu sais, il n’y a plus rien du tout à craindre : l’affaire est classée, sans compter que les gros bonnets du gouvernement ont encore moins envie que nous de tirer ça au clair… Oh ! j’ai compris, je suis tranquille.

Puis, elle ajouta, en riant tout à fait :

— Par exemple, toi, tu peux te vanter de nous avoir fait une jolie peur !… Et dis-moi donc, ça m’a toujours intriguée : au juste, qu’avais-tu vu ?

— Mais ce que j’ai dit chez le juge, rien de plus : un homme qui en égorgeait un autre… Vous étiez si drôles avec moi, que j’avais fini par me douter. Un instant, j’avais même reconnu ton mari… Ce n’est que plus tard, pourtant, que j’ai été absolument certain…

Elle l’interrompit gaiement.

— Oui, dans le square, le jour où je t’ai dit non, tu te rappelles ? la première fois que nous nous sommes trouvés seuls à Paris… Est-ce singulier ! je te disais que ce n’était pas nous, et je savais parfaitement que tu entendais le contraire. N’est-ce pas, c’était comme si je t’avais tout raconté ?… Oh ! chéri, j’y ai songé souvent, et je crois bien, vois-tu, que c’est depuis ce jour-là que je t’aime.

Ils eurent un élan, une pression où ils semblèrent se fondre. Et elle reprit :

— Sous le tunnel, le train courait… Il est très long, le tunnel. On reste là-dessous trois minutes. J’ai bien cru que nous y avions roulé une heure… Le président ne causait plus, à cause du bruit assourdissant de ferraille remuée. Et mon mari, à ce dernier moment, devait avoir une défaillance, car il ne bougeait toujours pas. Je voyais seulement, sous la clarté dansante de la lampe, ses oreilles devenir violettes… Allait-il donc attendre d’être de nouveau en rase campagne ? La chose était désormais pour moi si fatale, si inévitable, que je n’avais qu’un