Mon mari me séparait du président, qui occupait l’autre coin. Ils causaient ensemble des élections prochaines… Par moments, je voyais mon mari se pencher, jeter un coup d’œil au-dehors, pour s’assurer où nous étions, comme pris d’impatience… Chaque fois, je suivais son regard, je me rendais compte aussi du chemin parcouru. La nuit était pâle, les masses noires des arbres défilaient furieusement. Et toujours ce grondement des roues que jamais je n’ai entendu pareil, un affreux tumulte de voix enragées et gémissantes, des plaintes lugubres de bêtes hurlant à la mort ! À toute vitesse, le train courait… Brusquement, il y a eu des clartés, un écho répercuté du train entre les bâtiments d’une gare. Nous étions à Maromme, déjà à deux lieues et demie de Rouen. Encore Malaunay, et puis Barentin. Où donc la chose allait-elle se faire ? Faudrait-il attendre la dernière minute ? Je n’avais plus conscience du temps ni des distances, je m’abandonnais, ainsi que la pierre qui tombe, à cette chute assourdissante au travers des ténèbres, lorsque, en traversant Malaunay, tout d’un coup je compris : la chose se ferait dans le tunnel, à un kilomètre de là… Je me tournai vers mon mari, nos yeux se rencontrèrent : oui, dans le tunnel, encore deux minutes… Le train courait, l’embranchement de Dieppe fut dépassé, j’aperçus l’aiguilleur à son poste. Il y a là des coteaux, où j’ai cru voir distinctement des hommes, les bras levés, qui nous chargeaient d’injures. Puis, la machine siffla longuement : c’était l’entrée du tunnel… Et, lorsque le train s’y engouffra, oh ! quel retentissement sous cette voûte basse ! tu sais, ces bruits de fer remué, pareils à des volées de marteau sur l’enclume, et que moi, à cette seconde d’affolement, je transformais en roulements de tonnerre.
Elle grelottait, elle s’interrompit pour dire d’une voix changée, presque rieuse :
— Est-ce bête, hein ? chéri, d’en avoir encore froid dans