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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/259

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— Oui, trois secousses, oh ! d’un bout à l’autre de son corps, si longues, que je les ai suivies jusque dans ses pieds.

— Des secousses qui le raidissaient, n’est-ce pas ?

— Oui, la première très forte, les deux autres plus faibles.

— Et il est mort, et à toi qu’est-ce que ça t’a fait, de le sentir mourir comme ça, d’un coup de couteau ?

— À moi, oh ! je ne sais pas.

— Tu ne sais pas, pourquoi mens-tu ? Dis-moi, dis-moi ce que ça t’a fait, bien franchement… De la peine ?

— Non, non, pas de la peine !

— Du plaisir ?

— Du plaisir, ah ! non, pas du plaisir !

— Quoi donc, mon amour ? Je t’en prie, dis-moi tout… Si tu savais… Dis-moi ce qu’on éprouve.

— Mon Dieu ! est-ce qu’on peut dire ça ?… C’est affreux, ça vous emporte, oh ! si loin, si loin ! J’ai plus vécu dans cette minute-là que dans toute ma vie passée.

Les dents serrées, n’ayant plus qu’un bégaiement, Jacques cette fois l’avait prise ; et Séverine aussi le prenait. Ils se possédèrent, retrouvant l’amour au fond de la mort dans la même volupté douloureuse des bêtes qui s’éventrent pendant le rut. Leur souffle rauque, seul, s’entendit. Au plafond, le reflet saignant avait disparu ; et, le poêle éteint, la chambre commençait à se glacer, dans le grand froid du dehors. Pas une voix ne montait de Paris ouaté de neige. Un instant, des ronflements étaient venus de chez la marchande de journaux, à côté. Puis, tout s’était abîmé au gouffre noir de la maison endormie.

Jacques, qui avait gardé Séverine dans ses bras, la sentit tout de suite qui cédait à un sommeil invincible, comme foudroyée. Le voyage, l’attente prolongée chez les Misard, cette nuit de fièvre, l’accablaient. Elle bégaya un bonsoir enfantin, elle dormait déjà, d’un souffle égal. Le coucou venait de sonner trois heures.