Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/26

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prends qu’il parle de te laisser la maison. Tu l’as bien gagnée. Il pouvait veiller sur tes sous et te doter, ça valait ça… Un juge, un homme riche à millions, si respecté, si instruit, si haut ! Vrai, la tête vous tourne… Et, dis donc, s’il était ton père ?

Séverine, d’un effort, se mit debout. Elle l’avait repoussé, avec une vigueur extraordinaire, pour sa faiblesse de pauvre être vaincu. Violente, elle protestait.

— Non, non, pas ça ! Tout ce que tu voudras, pour le reste. Bats-moi, tue-moi… Mais ne dis pas ça, tu mens !

Roubaud lui avait gardé une main dans les siennes.

— Est-ce que tu en sais quelque chose ? C’est bien parce que tu en doutes toi-même, que ça te soulève ainsi.

Et, comme elle dégageait sa main, il sentit la bague, le petit serpent d’or à tête de rubis, oublié à son doigt. Il l’en arracha, le pila du talon sur le carreau, dans un nouvel accès de rage. Puis, il marcha d’un bout de la pièce à l’autre, muet, éperdu. Elle, tombée assise au bord du lit, le regardait de ses grands yeux fixes. Et le terrible silence dura.

La fureur de Roubaud ne se calmait point. Dès qu’elle semblait se dissiper un peu, elle revenait aussitôt, comme l’ivresse, par grandes ondes redoublées, qui l’emportaient dans leur vertige. Il ne se possédait plus, battait le vide, jeté à toutes les sautes du vent de violence dont il était flagellé, retombant à l’unique besoin d’apaiser la bête hurlante au fond de lui. C’était un besoin physique, immédiat, comme une faim de vengeance, qui lui tordait le corps et qui ne lui laisserait plus aucun repos, tant qu’il ne l’aurait pas satisfaite.

Sans s’arrêter, il se tapa les tempes de ses deux poings, il bégaya, d’une voix d’angoisse :

— Qu’est-ce que je vais faire ?

Cette femme, puisqu’il ne l’avait pas tuée tout de suite, il ne la tuerait pas maintenant. Sa lâcheté de la laisser