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IX


Au Havre, dès les jours suivants, Jacques et Séverine se montrèrent d’une grande prudence, pris d’inquiétude. Puisque Roubaud savait tout, n’allait-il pas les guetter, les surprendre, pour se venger d’eux, dans un éclat ? Ils se rappelaient ses emportements jaloux d’autrefois, ses brutalités d’ancien homme d’équipe, tapant à poings fermés. Et, justement, il leur semblait, à le voir, si lourd, si muet, avec ses yeux troubles, qu’il devait méditer quelque farouche sournoiserie, un guet-apens, où il les tiendrait en sa puissance. Aussi, pendant le premier mois, ne se virent-ils qu’avec mille précautions, toujours en alerte.

Roubaud, cependant, de plus en plus, s’absentait. Peut-être ne disparaissait-il ainsi que pour revenir à l’improviste et les trouver aux bras l’un de l’autre. Mais cette crainte ne se réalisait pas. Au contraire, ses absences se prolongeaient à un tel point, qu’il n’était plus jamais là, s’échappant dès qu’il était libre, ne rentrant qu’à la minute précise où le service le réclamait. Les semaines de jour, il trouvait le moyen, à dix heures, de déjeuner en cinq minutes, puis de ne pas reparaître avant onze heures et demie ; et, le soir, à cinq heures, lorsque son collègue descendait le remplacer, il filait, souvent pour la nuit entière. À peine prenait-il quelques heures de sommeil. Il en était de même des semaines de nuit, libre