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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/281

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dre que Roubaud fût parti s’installer au café du Commerce, selon son habitude, et monter alors déjeuner avec elle. Parfois, lorsqu’ils osaient, ils faisaient cette partie. Et, ce jour-là, en mangeant, frémissante encore, elle lui parla de l’argent, lui conta comment elle avait trouvé la cachette vide. Sa rancune contre son mari ne s’apaisait pas, le même cri revenait, incessant :

— Voleur ! voleur ! voleur !

Puis, elle apporta la montre, elle voulut absolument la donner à Jacques, malgré la répugnance qu’il montrait.

— Comprends donc, mon chéri, personne n’ira la chercher chez toi. Si je la garde, il me la prendra encore. Et ça, vois-tu, j’aimerais mieux lui laisser arracher un lambeau de ma chair… Non, il a eu trop. Je n’en voulais pas, de cet argent. Il me faisait horreur, jamais je n’en aurais dépensé un sou. Mais est-ce qu’il avait le droit d’en profiter, lui ? Oh ! je le hais !

Elle pleurait, elle insistait, avec de telles supplications, que le jeune homme finit par mettre la montre dans la poche de son gilet.

Une heure se passa, et Jacques avait gardé Séverine sur ses genoux, à moitié dévêtue encore. Elle se renversait contre son épaule, un bras à son cou, dans une caresse alanguie, lorsque Roubaud, qui avait une clef, entra. D’un saut brusque, elle fut debout. Mais c’était le flagrant délit, inutile de nier. Le mari s’était arrêté net, ne pouvant passer outre, tandis que l’amant restait assis, stupéfié. Alors, elle ne s’embarrassa même pas dans une explication quelconque, elle s’avança et répéta rageusement :

— Voleur ! voleur ! voleur !

Une seconde, Roubaud hésita. Puis, avec le haussement d’épaules dont il écartait tout maintenant, il entra dans la chambre, prit un calepin de service, qu’il y avait oublié. Mais elle le poursuivait, l’accablait.