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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/305

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qu’on ne voyait jamais ni entrer ni sortir, s’y compromit, en portant la table à ouvrage de Séverine d’un logement dans l’autre. Mais Philomène surtout souffla la discorde, venue là pour aider dès la première heure, faisant les paquets, bousculant les meubles, envahissant le logement du devant, avant que la locataire l’eût quitté ; et ce fut elle qui l’en expulsa, au milieu de la débandade des deux mobiliers, mêlés, confondus, dans le transbordement. Elle en était arrivée à montrer, pour Jacques et pour tout ce qu’il aimait, un tel zèle, que Pecqueux, étonné, pris de soupçon, lui avait demandé de son mauvais air sournois, son air d’ivrogne vindicatif, si c’était à cette heure qu’elle couchait avec son mécanicien, en l’avertissant qu’il leur réglerait leur compte à tous les deux, le jour où il les surprendrait. Son coup de cœur pour le jeune homme en avait grandi, elle se faisait leur servante, à lui et à sa maîtresse, dans l’espoir de l’avoir aussi un peu à elle, en se mettant entre eux. Lorsqu’elle eut emporté la dernière chaise, les portes battirent. Puis, ayant aperçu un tabouret oublié par la caissière, elle rouvrit, le jeta à travers le corridor. C’était fini.

Alors, lentement, l’existence reprit son train monotone. Pendant que madame Lebleu, sur le derrière, clouée par ses rhumatismes au fond de son fauteuil, se mourait d’ennui, avec de grosses larmes dans les yeux, à ne plus voir que le zinc de la marquise barrant le ciel, Séverine travaillait à son interminable couvre-pied, installée près d’une des fenêtres du devant. Elle avait, sous elle, l’agitation gaie de la cour du départ, le continuel flot des piétons et des voitures ; déjà, le printemps hâtif verdissait les bourgeons des grands arbres, au bord des trottoirs ; et, au-delà, les coteaux lointains d’Ingouville déroulaient leurs pentes boisées, que piquaient les taches blanches des maisons de campagne. Mais elle s’étonnait de prendre si peu de plaisir à réaliser enfin ce rêve, être là, dans ce loge-