Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/308

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X


Tante Phasie était morte, le jeudi soir, à neuf heures, dans une dernière convulsion ; et, vainement, Misard, qui attendait près de son lit, avait essayé de lui fermer les paupières : les yeux obstinés restaient ouverts, la tête s’était raidie, penchée un peu sur l’épaule, comme pour regarder dans la chambre, tandis qu’un retrait des lèvres semblait les retrousser d’un rire goguenard. Une seule chandelle brûlait, plantée au coin d’une table, près d’elle. Et les trains qui, depuis neuf heures, passaient là, à toute vitesse, dans l’ignorance de cette morte tiède encore, l’ébranlaient une seconde, sous la flamme vacillante de la chandelle.

Tout de suite, Misard, pour se débarrasser de Flore, l’envoya déclarer le décès à Doinville. Elle ne pouvait pas être de retour avant onze heures, il avait deux heures devant lui. Tranquillement, il se coupa d’abord un morceau de pain, car il se sentait le ventre vide, n’ayant pas dîné, à cause de cette agonie qui n’en finissait plus. Et il mangeait debout, allant et venant, rangeant les choses. Des quintes de toux l’arrêtaient, plié en deux, à moitié mort lui-même, si maigre, si chétif, avec ses yeux ternes et ses cheveux décolorés, qu’il ne paraissait pas devoir jouir longtemps de sa victoire. N’importe, il l’avait mangée, cette gaillarde, cette grande et belle femme, comme l’insecte mange le chêne ; elle était sur le dos,