Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/309

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finie, réduite à rien, et lui durait encore. Mais une idée le fit s’agenouiller, afin de prendre sous le lit une terrine, où se trouvait un reste d’eau de son, préparée pour un lavement : depuis qu’elle se doutait du coup, ce n’était plus dans le sel, c’était dans ses lavements qu’il mettait de la mort-aux-rats ; et, trop bête, ne se méfiant pas de ce côté-là, elle l’avait avalée tout de même, pour de bon cette fois-ci. Dès qu’il eut vidé la terrine dehors, il rentra, lava avec une éponge le carreau de la chambre, souillé de taches. Aussi pourquoi s’était-elle obstinée ? Elle avait voulu faire la maligne, tant pis ! Lorsque, dans un ménage, on joue à qui enterrera l’autre, sans mettre le monde dans la dispute, on ouvre l’œil. Il en était fier, il en ricanait comme d’une bonne histoire, de la drogue avalée si innocemment par en bas, quand elle surveillait avec tant de soin tout ce qui entrait par en haut. À ce moment, un express qui passa, enveloppa la maison basse d’un tel souffle de tempête, que, malgré l’habitude, il se tourna vers la fenêtre, en tressaillant. Ah ! oui, ce continuel flot, ce monde venu de partout, qui ne savait rien de ce qu’il écrasait en route, qui s’en moquait, tant il était pressé d’aller au diable ! Et, derrière le train, dans le lourd silence, il rencontra les yeux grands ouverts de la morte, dont les prunelles fixes semblaient suivre chacun de ses mouvements, pendant que le coin retroussé des lèvres riait.

Misard, si flegmatique, fut pris d’un petit mouvement de colère. Il entendait bien, elle lui disait : Cherche ! cherche ! Mais sûrement qu’elle ne les emportait pas avec elle, ses mille francs ; et, maintenant qu’elle n’y était plus, il finirait par les trouver. Est-ce qu’elle n’aurait pas dû les donner de bon cœur ? ça aurait évité tous ces ennuis. Les yeux partout le suivaient. « Cherche ! cherche ! » Cette chambre, où il n’avait point osé fouiller, tant qu’elle y avait vécu, il la parcourait du