Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/319

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cheminée, partout. Le train interminable n’en finissait pas, avec le fracas régulier de ses grosses roues, dont chaque secousse agitait la morte dans son lit. Et, lui, en allongeant le bras pour décrocher un petit tableau pendu au mur, rencontra encore les yeux ouverts qui le suivaient, tandis que les lèvres remuaient, avec leur rire.

Il devint blême, il grelotta, bégayant dans une colère épouvantée :

— Oui, oui, cherche ! cherche !… Va, je les trouverai, nom de Dieu ! quand je devrais retourner chaque pierre de la maison et chaque motte de terre du pays !

Le train noir était passé, d’une lenteur écrasante dans les ténèbres, et la morte, redevenue immobile, regardait toujours son mari, si railleuse, si certaine de vaincre, qu’il disparut de nouveau, en laissant la porte ouverte.

Flore, distraite dans ses réflexions, s’était levée. Elle referma la porte, pour que cet homme ne revînt pas déranger sa mère. Et elle s’étonna de s’entendre dire tout haut :

— Dix minutes auparavant, ce sera bien.

En effet, elle aurait le temps en dix minutes. Si, dix minutes avant l’express, aucun train n’était signalé, elle pouvait se mettre à la besogne. Dès lors, la chose étant réglée, certaine, son anxiété tomba, elle fut très calme.

Vers cinq heures, le jour se leva, une aube fraîche, d’une limpidité pure. Malgré le petit froid vif, elle ouvrit la fenêtre toute grande, et la délicieuse matinée entra dans la chambre lugubre, pleine d’une fumée et d’une odeur de mort. Le soleil était encore sous l’horizon, derrière une colline couronnée d’arbres ; mais il parut, vermeil, ruisselant sur les pentes, inondant les chemins creux, dans la gaieté vivante de la terre, à chaque printemps nouveau. Elle ne s’était pas trompée, la veille : il ferait beau, ce matin-là, un de ces temps de jeunesse et de radieuse santé, où l’on aime vivre. Dans ce pays désert, parmi les continuels coteaux, coupés de vallons étroits,