Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/320

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qu’il serait bon de s’en aller le long des sentiers de chèvre, à sa libre fantaisie ! Et, lorsqu’elle se retourna, rentrant dans la chambre, elle fut surprise de voir la chandelle, comme éteinte, ne plus tacher le grand jour que d’une larme pâle. La morte semblait maintenant regarder sur la voie, où les trains continuaient à se croiser, sans même remarquer cette lueur pâlie de cierge, près de ce corps.

Au jour seulement, Flore reprenait son service. Et elle ne quitta la chambre que pour l’omnibus de Paris, à six heures douze. Misard, lui aussi, à six heures, venait de remplacer son collègue, le stationnaire de nuit. Ce fut à son appel de trompe qu’elle vint se planter devant la barrière, le drapeau à la main. Un instant, elle suivit le train des yeux.

— Encore deux heures, pensa-t-elle tout haut.

Sa mère n’avait plus besoin de personne. Désormais, elle éprouvait une invincible répugnance à rentrer dans la chambre. C’était fini, elle l’avait embrassée, elle pouvait disposer de son existence et de celle des autres. D’habitude, entre les trains, elle s’échappait, disparaissait ; mais, ce matin-là, un intérêt semblait la tenir à son poste, près de la barrière, sur un banc, une simple planche qui se trouvait au bord de la voie. Le soleil montait à l’horizon, une tiède averse d’or tombait dans l’air pur ; et elle ne remuait pas, baignée de cette douceur, au milieu de la vaste campagne, toute frissonnante de la sève d’avril. Un moment, elle s’était intéressée à Misard, dans sa cabane de planches, à l’autre bord de la ligne, visiblement agité, hors de sa somnolence habituelle : il sortait, rentrait, manœuvrait ses appareils d’une main nerveuse, avec de continuels coups d’œil vers la maison, comme si son esprit y fût demeuré, à chercher toujours. Puis, elle l’avait oublié, ne le sachant même plus là. Elle était toute à l’attente, absorbée, la face muette et rigide, les yeux fixés au