Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/322

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Mais un fouet claqua dans l’air matinal, une voix cria gaiement :

— Eh ! Flore !

C’était Cabuche. Elle fut clouée au sol, arrêtée dès son premier élan, devant la barrière même.

— Quoi donc ? continua-t-il, tu dors encore, par ce beau soleil ? Vite, que je passe avant l’express !

En elle, un écroulement se faisait. Le coup était manqué, les deux autres iraient à leur bonheur, sans qu’elle trouvât rien pour les briser là. Et, tandis qu’elle ouvrait lentement la vieille barrière à demi pourrie, dont les ferrures grinçaient dans leur rouille, elle cherchait furieusement un obstacle, quelque chose qu’elle pût jeter en travers de la voie, désespérée à ce point, qu’elle s’y serait allongée elle-même, si elle s’était crue d’os assez durs pour faire sauter la machine hors des rails. Mais ses regards venaient de tomber sur le fardier, l’épaisse et basse voiture, chargée de deux blocs de pierre, que cinq vigoureux chevaux avaient de la peine à traîner. Énormes, hauts et larges, d’une masse géante à barrer la route, ces blocs s’offraient à elle ; et ils éveillèrent, dans ses yeux, une brusque convoitise, un désir fou de les prendre, de les poser là. La barrière était grande ouverte, les cinq bêtes suantes, soufflantes, attendaient.

— Qu’as-tu, ce matin ? reprit Cabuche. Tu as l’air tout drôle.

Alors, Flore parla :

— Ma mère est morte hier soir.

Il eut un cri de douloureuse amitié. Posant son fouet, il lui serrait les mains dans les siennes.

— Oh ! ma pauvre Flore ! Il fallait s’y attendre depuis longtemps, mais c’est si dur tout de même !… Alors, elle est là, je veux la voir, car nous aurions fini par nous entendre, sans le malheur qui est arrivé.

Doucement, il marcha avec elle jusqu’à la maison. Sur