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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/323

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le seuil, pourtant, il eut un regard vers ses chevaux. D’une phrase, elle le rassura.

— Pas de danger qu’ils bougent ! Et puis, l’express est loin.

Elle mentait. De son oreille exercée, dans le frisson tiède de la campagne, elle venait d’entendre l’express quitter la station de Barentin. Encore cinq minutes, et il serait là, il déboucherait de la tranchée, à cent mètres du passage à niveau. Tandis que le carrier, debout dans la chambre de la morte, s’oubliait, songeant à Louisette, très ému, elle, restée dehors, devant la fenêtre, continuait d’écouter, au loin, le souffle régulier de la machine de plus en plus proche. Brusquement, l’idée de Misard lui vint : il devait la voir, il l’empêcherait ; et elle eut un coup à la poitrine, lorsque, s’étant tournée, elle ne l’aperçut pas à son poste. De l’autre côté de la maison, elle le retrouva, qui fouillait la terre, sous la margelle du puits, n’ayant pu résister à sa folie de recherches, pris sans doute de la certitude subite que le magot était là : tout à sa passion, aveugle, sourd, il fouillait, il fouillait. Et ce fut, pour elle, l’excitation dernière. Les choses elles-mêmes le voulaient. Un des chevaux se mit à hennir, tandis que la machine, au-delà de la tranchée, soufflait très haut, en personne pressée qui accourt.

— Je vas les faire tenir tranquilles, dit Flore à Cabuche. N’aie pas peur.

Elle s’élança, prit le premier cheval par le mors, tira de toute sa force décuplée de lutteuse. Les chevaux se raidirent, un instant, le fardier, lourd de son énorme charge, oscilla sans démarrer ; mais, comme si elle se fût attelée elle-même, en bête de renfort, il s’ébranla, s’engagea sur la voie. Et il était en plein sur les rails, lorsque l’express, là-bas, à cent mètres, déboucha de la tranchée. Alors, pour immobiliser le fardier, de crainte qu’il ne traversât, elle retint l’attelage, dans une brusque secousse,