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Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/330

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Seulement, la fumée restait épaisse, l’énorme tas de débris d’où sortaient ces voix de torture et de terreur, semblait enveloppé d’une poussière noire, immobile dans le soleil. Que faire ? par où commencer ? comment arriver jusqu’à ces malheureux ?

— Jacques ! criait toujours Flore. Je vous dis qu’il m’a regardée et qu’il a été jeté par là, sous le tender… Accourez donc ! aidez-moi donc !

Déjà, Cabuche et Misard venaient de relever Henri, le conducteur-chef, qui, à la dernière seconde, avait sauté lui aussi. Il s’était démis le pied, ils l’assirent par terre, contre la haie, d’où, hébété, muet, il regarda le sauvetage, sans paraître souffrir.

— Cabuche, viens donc m’aider, je te dis que Jacques est là-dessous !

Le carrier n’entendait pas, courait à d’autres blessés, emportait une jeune femme dont les jambes pendaient, cassées aux cuisses.

Et ce fut Séverine qui se précipita, à l’appel de Flore.

— Jacques, Jacques !… Où donc ? Je vous aiderai.

— C’est ça, aidez-moi, vous !

Leurs mains se rencontrèrent, elles tiraient ensemble sur une roue brisée. Mais les doigts délicats de l’une n’arrivaient à rien, tandis que l’autre, avec sa forte poigne, abattait les obstacles.

— Attention ! dit Pecqueux, qui se mettait, lui aussi, à la besogne.

D’un mouvement brusque, il avait arrêté Séverine, au moment où elle allait marcher sur un bras, coupé à l’épaule, encore vêtu d’une manche de drap bleu. Elle eut un recul d’horreur. Pourtant, elle ne reconnaissait pas la manche : c’était un bras inconnu, roulé là, d’un corps qu’on retrouverait autre part sans doute. Et elle en resta si tremblante, qu’elle en fut comme paralysée, pleurante et debout, à regarder travailler les autres, incapable seulement d’en-