Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/348

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lement dans une de ses poches. Lui, seulement, n’était pas à cacher : un couteau comme tous les autres.

Mais, le lendemain déjà, Jacques était plus fort, et il se reprit à espérer qu’il ne mourrait pas là. Il avait eu un véritable plaisir à reconnaître, près de lui, Cabuche, s’empressant, assourdissant sur le parquet ses pas lourds de colosse ; car, depuis l’accident, le carrier n’avait pas quitté Séverine, comme emporté lui aussi dans un ardent besoin de dévouement : il lâchait son travail, revenait chaque matin l’aider aux gros travaux du ménage, la servait en chien fidèle, les yeux fixés sur les siens. Ainsi qu’il le disait, c’était une rude femme, malgré son air mince. On pouvait bien faire quelque chose pour elle, qui faisait tant pour les autres. Et les deux amants s’habituaient à lui, se tutoyaient, s’embrassaient même, sans se gêner lorsqu’il traversait la chambre discrètement, en effaçant le plus possible son grand corps.

Jacques, cependant, s’étonnait des fréquentes absences de Séverine. Le premier jour, pour obéir au médecin, elle lui avait caché la présence d’Henri, en bas, sentant bien de quelle douceur apaisante lui serait l’idée d’une absolue solitude.

— Nous sommes seuls, n’est-ce pas ?

— Oui, mon chéri, seuls, tout à fait seuls… Dors tranquille.

Seulement, elle disparaissait à chaque minute, et dès le lendemain, il avait entendu, au rez-de-chaussée, des bruits de pas, des chuchotements. Puis, le jour suivant, ce fut toute une gaieté étouffée, des rires clairs, deux voix jeunes et fraîches qui ne cessaient point.

— Qu’y a-t-il ? qui est-ce ?… Nous ne sommes donc pas seuls ?

— Eh bien ! non, mon chéri, il y a en bas, juste sous ta chambre, un autre blessé que j’ai dû recueillir.

— Ah !… Qui donc ?