Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/349

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— Henri, tu sais, le conducteur-chef ?

— Henri… Ah !

— Et, ce matin, ses sœurs sont arrivées. Ce sont elles que tu entends, elles rient de tout… Comme il va beaucoup mieux, elles repartiront ce soir, à cause de leur père qui ne peut se passer d’elles ; et Henri restera deux ou trois jours encore, pour se remettre complètement… Imagine-toi, il a sauté, lui, et rien de cassé ; seulement, il était comme idiot ; mais c’est revenu.

Jacques se taisait, fixait sur elle un regard si long, qu’elle ajouta :

— Tu comprends ? s’il n’était pas là, on pourrait jaser de nous deux… Tant que je ne suis pas seule avec toi, mon mari n’a rien à dire, j’ai un bon prétexte pour rester ici… Tu comprends ?

— Oui, oui, c’est très bien.

Et, jusqu’au soir, Jacques écouta les rires des petites Dauvergne, qu’il se souvenait d’avoir entendus, à Paris, monter ainsi de l’étage inférieur, dans la chambre où Séverine s’était confessée, entre ses bras. Puis, la paix se fit, il ne distingua plus que le pas léger de cette dernière, allant de lui à l’autre blessé. La porte d’en bas se refermait, la maison tombait à un silence profond. Deux fois, ayant très soif, il dut taper avec une chaise sur le plancher, pour qu’elle remontât. Et, quand elle reparaissait, elle était souriante, très empressée, expliquant qu’elle n’en finissait pas, parce qu’il fallait entretenir sur la tête d’Henri des compresses d’eau glacée.

Dès le quatrième jour, Jacques put se lever et passer deux heures dans un fauteuil, devant la fenêtre. En se penchant un peu, il apercevait l’étroit jardin, que le chemin de fer avait coupé, clos d’un mur bas, envahi d’églantiers aux fleurs pâles. Et il se rappelait la nuit où il s’était haussé, pour regarder par-dessus le mur, il revoyait le terrain assez vaste, de l’autre côté de la maison, fermé