Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/356

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qui devait se produire. Le jour même, en bas, il entendit de nouveau les rires frais et jeunes, une gaieté de grandes filles, emplissant la triste demeure du tapage d’un pensionnat en récréation. Il avait reconnu les petites Dauvergne. Il n’en parla point à Séverine, qui, d’ailleurs, la journée entière, s’échappa, sans pouvoir rester cinq minutes près de lui. Puis, le soir, la maison tomba à un silence de mort. Et, comme, l’air grave, un peu pâle, elle s’attardait dans sa chambre, il la regarda fixement, il lui demanda :

— Alors, il est parti, ses sœurs l’ont emmené ?

Elle répondit d’une voix brève :

— Oui.

— Et nous sommes seuls enfin, tout à fait seuls ?

— Oui, tout à fait seuls… Demain, il faudra nous quitter, je retournerai au Havre. C’est fini, de camper dans ce désert.

Lui, continuait à la regarder, d’un air souriant et gêné. Pourtant, il se décida :

— Tu regrettes qu’il soit parti, hein ?

Et, comme elle tressaillait, en voulant protester, il l’arrêta.

— Ce n’est pas une querelle que je te cherche. Tu vois bien que je ne suis pas jaloux. Un jour, tu m’as dit de te tuer, si tu m’étais infidèle, et, n’est-ce pas ? je n’ai point l’air d’un amant qui songe à tuer sa maîtresse… Mais, vraiment, tu ne bougeais plus d’en bas. Impossible de t’avoir à moi une minute. J’ai fini par me rappeler ce que disait ton mari, que tu coucherais un beau soir avec ce garçon, sans plaisir, uniquement pour recommencer autre chose.

Elle avait cessé de se débattre, elle répéta à deux reprises, lentement :

— Recommencer, recommencer…

Puis, dans un élan d’irrésistible franchise :