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II


À la Croix-de-Maufras, dans un jardin que le chemin de fer a coupé, la maison est posée de biais, si près de la voie, que tous les trains qui passent l’ébranlent ; et un voyage suffit pour l’emporter dans sa mémoire, le monde entier filant à grande vitesse la sait à cette place, sans rien connaître d’elle, toujours close, laissée comme en détresse, avec ses volets gris que verdissent les coups de pluie de l’ouest. C’est le désert, elle semble accroître encore la solitude de ce coin perdu, qu’une lieue à la ronde sépare de toute âme.

Seule, la maison du garde-barrière est là, au coin de la route qui traverse la ligne et qui se rend à Doinville, distant de cinq kilomètres. Basse, les murs lézardés, les tuiles de la toiture mangées de mousse, elle s’écrase d’un air abandonné de pauvre, au milieu du jardin qui l’entoure, un jardin planté de légumes, fermé d’une haie vive, et dans lequel se dresse un grand puits, aussi haut que la maison. Le passage à niveau se trouve entre les stations de Malaunay et de Barentin, juste au milieu, à quatre kilomètres de chacune d’elles. Il est d’ailleurs très peu fréquenté, la vieille barrière à demi pourrie ne roule guère que pour les fardiers des carrières de Bécourt, dans la forêt, à une demi-lieue. On ne saurait imaginer un trou plus reculé, plus séparé des vivants, car le long tunnel, du côté de Malaunay, coupe tout chemin, et l’on ne com-