Page:Emile Zola - La Bête humaine.djvu/364

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

aurait tout ça écrasé : plus de trou, plus rien !… Est-ce que ça va, dis ?

— Oui, ça va, c’est très bien.

Tous deux s’animaient, elle était presque gaie et fière d’avoir de l’imagination. À une caresse plus vive, elle fut parcourue d’un frémissement.

— Non, laisse-moi, attends un peu… Car, mon chéri, j’y songe, ça ne va pas encore. Si tu restes ici avec moi, le suicide quand même semblera louche. Il faut que tu partes. Entends-tu ? demain, tu partiras, mais d’une façon ouverte, devant Cabuche, devant Misard, pour que ton départ soit bien établi. Tu prendras le train à Barentin, tu descendras à Rouen, sous un prétexte ; puis, dès que la nuit sera tombée, tu reviendras, je te ferai entrer par derrière. Il n’y a que quatre lieues, tu peux être de retour en moins de trois heures… Cette fois, tout est réglé. C’est fait, si tu le veux.

— Oui, je le veux, c’est fait.

Lui-même, maintenant, réfléchissait, ne la baisait plus, inerte. Et il y eut encore un silence, pendant qu’ils demeuraient ainsi, sans bouger, aux bras l’un de l’autre, comme anéantis dans l’acte futur, arrêté, certain désormais. Puis, lentement, la sensation de leurs deux corps leur revint, et ils s’étouffaient d’une étreinte grandissante, lorsqu’elle s’arrêta, les bras dénoués.

— Eh bien ! et le prétexte pour le faire venir ici ? Il ne pourra toujours prendre que le train de huit heures du soir, après son service, et il n’arrivera pas avant dix heures : ça vaut mieux… Tiens ! justement, cet acquéreur pour la maison, dont Misard m’a parlé, et qui doit visiter après-demain matin ! Voilà, je vais télégraphier à mon mari, en me levant, que sa présence est absolument nécessaire. Il sera là demain soir. Toi, tu partiras dans l’après-midi, et tu pourras être de retour avant qu’il arrive. Il fera nuit, pas de lune, rien qui nous gêne… Tout s’arrange parfaitement.